La recherche universitaire pour diffuser les savoirs au grand public
Comment vous est venue l’idée de travailler sur le sujet de l’exposition universelle de 1867 ?
Mon laboratoire, le LARCA, s’est saisi de l’exposition universelle de 1867 depuis plusieurs années. Son ancien directeur, l’historien de la photographie François Brunet (disparu en 2018) menait un projet de recherche sur cet événement qui a déjà donné lieu à une thèse de doctorat, à plusieurs publications et à la réalisation d’un site interactif. Notre travail collectif s’inscrit dans la continuité de ces travaux et de collaborations internationales, actives depuis longtemps. Nos recherches portent en particulier sur le visuel, et plus spécifiquement sur les photographies de l’exposition et dans l’exposition. Elles sont à la fois des documents sur l’événement lui-même, mais aussi des composantes à part entière de ce dernier. On les expose, on les vend, on les fait circuler sur tous les continents dès 1867. Les images sont donc à la fois reflets et actrices de ce moment très particulier où Napoléon III et les organisateurs veulent inventer Paris comme le centre d’un monde pacifié. C’est donc la vision et l’image qui sont notre point d’entrée dans ce moment global.
Comment le besoin de monter une exposition scientifique est-il survenu ? Pourquoi une collaboration avec le musée Carnavalet ?
Il est important que la recherche fondamentale en histoire puisse se décliner en des objets capables d’atteindre le grand public en mêlant exigence scientifique et accessibilité. La maturité de certaines technologies nous permet de pouvoir utiliser les archives photographiques d’une façon nouvelle. Il devient possible de retrouver l’effet panoramique voulu par les concepteurs de l’exposition tout en mettant en perspective ce moment de propagande du Second Empire. Le musée Carnavalet est avant tout celui de l’histoire de Paris, ville-capitale que l’exposition transforme en ville-monde pour quelques mois. Le musée possède par ailleurs de nombreux objets, œuvres et images directement liés à l’événement. Cette collaboration est donc très évidente pour nous.
Quels sont vos grands challenges (techniques, scientifiques, de levée de fonds) avec ce projet d’exposition immersive ?
Les organisateurs de l’exposition de 1867 avaient accordé le monopole de la production de photographies au studio de Pierre Petit qui réalise plus de 10000 clichés lors de l’événement. Il accorde des autorisations à d’autres photographes qui vont produire des vues stéréoscopiques, très populaires alors, capables de donnent une impression de relief aux spectateurs. Plusieurs centaines de photographies de ce type sont réalisées. Elles permettent de voir l’exposition sous toutes ses coutures. Pour retrouver leur caractère spectaculaire, la plupart de ces vues doivent être restaurées numériquement. Rares sont celles qui ont survécu au passage du temps sans perte de contraste, dégradations et modifications chimiques. Le défi, après avoir localisé les documents, est donc d’utiliser les technologies les plus récentes en matière de numérisation et d’intelligence artificielle pour retrouver leur capacité à émerveiller et à interroger, tout en conservant leur authenticité. Notre collaboration avec le laboratoire de muséologie expérimentale de l’EPFL de Lausanne vise aussi à réfléchir aux manières de présenter un événement historique de ce type au grand public. Au-delà de la recherche historique, il s’agit donc de développer une expertise muséologique spécifique qui puisse bénéficier aux chercheurs et aux étudiants. Nos objectifs recoupent ceux d’autres grands projets autour du patrimoine européen, à l’instar de Time Machine. Nous cherchons donc à voir comment une histoire par les objets peut venir nourrir nos travaux, mais aussi enrichir l’exposition sur l’exposition. Nous localisons donc une partie de ceux qui ont été exposés à l’époque et conservés jusqu’à aujourd’hui pour en comprendre les trajectoires. Cet axe de recherche permettra de sélectionner des objets susceptibles d’être scannés à très haute définition et en 3D afin de les rendre disponibles pour le grand public. Ces « jumeaux digitaux », qui conservent une part de l’aura des œuvres originales, permettent en outre de faciliter la circulation et la sauvegarde de ces objets.
Pourquoi le mécénat de particuliers et d’entreprises est-il indispensable ?
Le développement d’un environnement numérique 3d autour l’exposition de 1867 est évidemment un projet qui demande des fonds conséquents. Le traitement des images, la numérisation 3d des objets et le développement de l’infrastructure qui permettra de visionner ces documents pour les remettre en contexte demandent un investissement important. Si la partie de notre travail lié à la recherche fondamentale plus traditionnelle est couverte par nos financements classiques, la dimension numérique de nos travaux rend l’apport du mécénat crucial à ce projet.
Une réflexion sur la société d’hier, d’aujourd’hui mais aussi de demain est permise grâce à cette exposition, que souhaitez-vous que le public emporte comme « message(s) » avec lui ?
L’exposition de 1867 dessine des avenirs possibles. Jules Vernes, visiteur attentif, y trouve une source d’inspiration pour Vingt Mille Lieues sous les mers au détour des aquariums marins qui font sensation. Des visiteurs étrangers, confrontés aux impressionnantes avancées techniques du milieu du 19ème siècle réunies là, s’interrogent sur le destin de leur propre pays. La nature y est présentée comme un espace à conquérir, désormais maîtrisé par la science et la technique. La compagnie de Suez vient présenter l’avancée de son canal dans son propre pavillon tandis qu’on se réjouit de la connection télégraphique entre les Etats-Unis et l’Europe. Déjà, certains viennent promouvoir activement des espaces à coloniser. Notre monde est plein des échos de ces futurs imaginés au cœur du 19ème siècle. Retrouver ces liens, c’est aussi comprendre comment ce moment utopique a été perçu de façon très diverse et contradictoire par les gens de l’époque. L’exposition de 1867, moment de techno-optimisme sans pareil, se tient à l’orée de changements radicaux, de révolutions et de guerres. Dans notre époque traversée de débats sur le futur de la planète et sur le rôle néfaste ou positif de la technologie, la regarder d’un peu plus près est forcément une manière de réfléchir au présent.
Les questions bonus !
La dernière chose que vous faites le soir avant de vous coucher ? Lire
Votre passion dans la vie ? Les gens. Au présent, au passé, au futur.
Le métier que vous vouliez faire petit ? Archéologue.
Votre credo ? Pas de dogmatisme !